• Rendez-vous dans les ruines

    un chat dont le pelage était aussi sombre que la nuit

    Masquant la lune qui ne pouvait donc éclairer ce théâtre abandonné dont le toit s'était effondré, exposant au ciel des chaises brisées, des rideaux déchirés, et la scène sans animation, les nuages couvraient l’ensemble du décor. Ils se firent plus nombreux, laissant leurs flocons s'élancer doucement jusqu'à ce lieu délaissé par les hommes. L'hiver s'imposait ainsi, la neige couvrant le paysage, les ruines du théâtre devenant tout blanc. Parmi les décombres, entre les vieux sièges, un chat, dont le pelage était aussi sombre que la nuit, se faufilait jusqu'à la scène. Il s'allongea doucement sur le manteau que formait la neige avant de regarder la lune et les étoiles dont le scintillement avait réussi à transpercer le voile obscur, éclairant ce théâtre autrefois majestueux. Un son se fit entendre, le miaulement du chat, comme une douce mélodie, une musique apaisante. Sa queue bougeait doucement, balayant la fine couche de neige, dénudant en même temps le vieux bois de la scène. Mais le ballet des flocons s'arrêta soudain, les nuages fuyaient le ciel, la pleine lune reprit sa place, elle irradiait ces terres abandonnées, offertes à la nature.

    Alors le chat se dressa, étirant tout son corps avant de se faufiler dans les vieilles loges. Des restes de costumes jonchaient le sol, formant un tapis aux couleurs passées. Des miroirs brisés reflétaient des morceaux d’une part de pleine lune qui dépassait du ciel. Avec agilité, le félin sauta sur le haut d’une cloison, jusqu'à atteindre un lambeau restant du plafond. Puis, alors même que les nuages revenaient à la charge, entraînant avec eux un nouveau ballet de flocons, il gagna un bout de toiture encore intact. L’animal émit un léger ronronnement, puis, avec sa patte droite, il voulut attraper l’un de ces étranges projectiles. Délicatement, le coussinet de sa patte effleurait les flocons. C’était comme un jeu qui commençait. Sautillant sur le toit avant de descendre parmi les débris, se faufilant entre les strapontins, tentant d'attraper encore un flocon venu s’échoir ici.

    Cependant, il s'arrêta soudain. Il avait senti une odeur inconnue, quelque chose qu'il n'avait jamais perçu jusqu’alors. Enveloppé dans une bulle de nostalgie, un homme marchait sur la scène délabrée. Il se souvenait du temps où il était maître sur cette même scène. Il se souvenait du temps où le théâtre était encore en vie. Il se souvenait du temps où il avait encore une âme. L'homme regardait les sièges repliés, espérant peut-être que quelqu'un entendrait sa détresse. Il entendait le miaulement du chat qui résonnait dans les ruines. Et maintenant, homme et félin se regardaient, s’observaient, et le silence régnait.

    Le vent poussa un souffle, les flocons furent emportés. L'animal s'avança vers l'homme et il sauta dans ses bras, lui réclamant de la chaleur. Ils s'en allèrent tous les deux, laissant la neige prendre possession de ce lieu que des hommes avaient bâti jadis, avant de l’abandonner.

    Morgane


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  • Commentaires

    1
    chantal
    Mardi 3 Mars 2015 à 15:12

    c'est un très beau texte poétique, qui incite à la rêverie et en même temps très vivant

    2
    bh
    Lundi 9 Mars 2015 à 13:35

    la blanche désolation des ruines est bien rendue par une écriture efficace, la rencontre homme et félin est brève comme toute rencontre, avant qu'elle ne se poursuive.

    3
    HS
    Vendredi 10 Avril 2015 à 15:07

    https://www.youtube.com/watch?v=pg5PtuJzxYIHS



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